Le terme « intelligence artificielle » (IA) est maintenant sur toutes les lèvres. On parle de générateur d’idées, d’économie de temps, mais l’IA soulève des questions concernant l’éthique et les droits d’auteur. Quels avantages et quels défis présente l’utilisation de l’IA en classe d’arts? Comment aborder les questions éthiques avec les élèves ? Trois spécialistes se sont penchés sur ces questions lors d’un panel virtuel offert aux membres de la communauté de pratique des arts à l’école de La ruchée, le 30 novembre 2023.
Philippe Pasquier, professeur à l’École des arts interactifs et des technologies de l’Université Simon Fraser, à Burnaby (Colombie-Britannique), et chercheur scientifique en IA générative, définit l’intelligence artificielle comme l’automatisation de tâches qui, à la base, ont besoin de l’intervention de l’intelligence humaine. Selon lui, « il s’agit en fait d’algorithmes qui sont capables, tâche par tâche, d’automatiser de manière partielle, et parfois de manière complète, le système créatif ».
Avantages et défis en classe d’arts
Plusieurs études démontrent que cette vague d’automatisation offre aux enseignants un gain d’efficacité. Les outils de l’IA permettent de générer des contenus rapidement, qui ne seraient pas accessibles autrement.
Marie-Eve Lapolice, conseillère pédagogique au service national du RÉCIT domaine des arts (Québec), abonde dans le même sens que M. Pasquier. « L’IA peut soutenir le travail de l’enseignant, par exemple en art dramatique où le temps que cela peut prendre pour trouver des textes pour se pratiquer est très long. En utilisant ChatGPT, on peut vraiment personnaliser nos textes, tout en économisant un temps énorme. »
Il est important de former les élèves aux enjeux de l’IA. Au Québec, bien que le ministère de l’Éducation demande au personnel enseignant de ne pas recommander aux élèves d’utiliser les outils d’intelligence artificielle, les panélistes s’entendent pour dire qu’il est toutefois important de discuter de l’IA avec eux. « Les élèves ont besoin d’être informés et de savoir que ces outils existent », ajoute la conseillère pédagogique. Les outils d’intelligence artificielle pourraient compléter les pratiques traditionnelles d’enseignement, sans toutefois les remplacer. Il est important d’apprendre à les utiliser proprement. « J’aime utiliser les matériaux traditionnels, mélangés avec l’intelligence artificielle », avance Jihane Mossalim, artiste visuelle, enseignante en arts plastiques et étudiante au doctorat en éducation artistique à l’Université Concordia, à Montréal (Québec). « Dans mon projet de recherche, ce qui m’intéresse vraiment, c’est de savoir s’il est possible de combiner les deux pour avoir le meilleur des deux mondes, et si cela vaut la peine. »
Des bénéfices pour les apprenants
Il serait encore trop tôt pour évaluer les bénéfices concrets de l’utilisation de l’IA pour les élèves. Mais plusieurs avantages ont déjà été observés, telle l’aide considérable qu’elle apporte lors de séances de remue-méninges. « Il y a cette accessibilité, alors qu’avec seulement quelques mots, on peut arriver à obtenir un résultat qui prendrait beaucoup plus de temps à trouver si on faisait des recherches sur Google, par exemple, pour trouver une image », précise Jihane Mossalim. L’IA est une source d’inspiration inépuisable, permettant de générer, par exemple, des sons d’ambiance qui aident dans le processus de création en danse, à partir de contextes très particuliers.
L’évaluation des travaux reste la question la plus épineuse, puisque le résultat produit à l’aide de l’intelligence artificielle ne peut être évalué. Les panélistes rappellent que dans le domaine des arts, c’est le processus qui est évalué et non le résultat.
Des considérations éthiques à prendre en compte
« Que l’enseignant l’ait autorisé ou non, 70 % des étudiants de niveau universitaire vont utiliser l’IA, car le gain d’efficacité est réel », rappelle Philippe Pasquier. « Il est primordial, pour les enseignants, de passer des consignes très claires lorsqu’un travail doit être effectué sans recours à l’intelligence artificielle. Si un travail peut être fait avec ces outils, je demande aux étudiants de me fournir les liens utilisés et comment ils les ont utilisés. Si un étudiant n’écrit pas devant moi, je n’ai aucun moyen de savoir si c’est son texte que je lis. Ça va être vrai pour le dessin, pour le visuel, pour la composition musicale, pour tout ce qui est design, etc. »
« C’est le même combat qu’avec l’intégration du numérique, qui s’est faite au travers d’expérimentation et d’éducation », renchérit Marie-Ève Lapolice. « L’enseignant ou l’enseignante doit intégrer l’IA dans ses pratiques au fur et à mesure, étape par étape. »
Il n’y a pas encore de jugement ni de jurisprudence pour statuer sur les droits d’auteur liés à l’IA. « Au moment même où on se parle, les lois sont en train de se faire », relate Philippe Pasquier. « Il existe un nouveau mouvement qui prend de l’ampleur rapidement, dans lequel les artistes donnent leurs œuvres volontairement à des plateformes d’IA et explorent un univers latent et esthétique qui leur appartiennent. Il y a donc des mouvements parallèles aux géants qui veulent monopoliser les œuvres d’art », conclut le chercheur.